ISIDORE DE SÉVILLE

ISIDORE DE SÉVILLE
ISIDORE DE SÉVILLE

Tardivement proclamé docteur de l’Église universelle en 1722, mais vénéré de ses contemporains comme «l’image même du savoir antique», Isidore de Séville fut tour à tour l’écrivain latin le plus souvent recopié et lu par le Moyen Âge, et l’un des plus outrageusement décriés par l’hypercritique moderne. En appréciant de manière moins suffisante et plus respectueuse la civilisation du haut Moyen Âge européen, les historiens actuels s’efforcent de comprendre plus équitablement le rôle primordial qu’Isidore n’a cessé de jouer dans la culture du millénaire qui l’a suivi.

L’Espagne wisigothique en mutation

La figure d’Isidore de Séville ne peut s’expliquer hors de la conjoncture historique dans laquelle il s’est formé. Sous l’impulsion du frère aîné d’Isidore, Léandre, avant lui évêque de Séville, le roi wisigoth Reccarède se convertit en 587 de l’arianisme au catholicisme. L’unité de foi renforce ainsi l’unité politique de la péninsule, réalisée par les campagnes de son père Liuvigild, dernier roi wisigoth arien. La reconquête byzantine du Sud est définitivement arrêtée: en 624, Isidore célébrera en Suinthila «le premier monarque à régner sur l’Espagne tout entière» après en avoir chassé les derniers occupants byzantins. Cet accord nouveau, non sans risques, entre l’Église catholique hispano-romaine et le royaume wisigothique converti à la suite de son prince, crée les conditions d’une civilisation nouvelle où peut se réaliser le rêve ancien du roi Athaulf au début du Ve siècle: revigorer par la force des Goths la tradition romaine. Ainsi se définissent les attaches historiques et l’intention profonde d’une œuvre littéraire engagée à résoudre les problèmes de son pays et de son temps, après deux siècles d’invasions, de destructions et d’insécurité. Devenu, à la suite de son frère, évêque et conseiller des princes, Isidore contribue, par son action et par ses œuvres, à l’affermissement de la royauté wisigothique, à la pacification des esprits dans l’unité nationale, à la réorganisation de l’Église d’Espagne (en particulier au IVe concile de Tolède, en 633), à la restauration d’une culture hispano-romaine rénovée.

L’œuvre littéraire et ses sources

Isidore est né, il a vécu et écrit dans la plus romanisée des provinces de l’Espagne romaine: la Bétique (l’actuelle Andalousie); la plus ouverte aussi, depuis des millénaires, aux influences de l’Orient et de l’Afrique. À l’entrée de la bibliothèque sévillane, on pouvait lire: «Il est ici bien des œuvres sacrées, bien des œuvres profanes»; ce vers trace à lui seul un programme. L’Afrique chrétienne, persécutée par les Vandales, mal reconquise par les Byzantins, continuait d’enrichir l’Espagne de ses réfugiés et de leurs livres. Havre de paix dans l’Occident de cette fin du VIe siècle, l’Espagne se trouve appelée à devenir comme le conservatoire de la culture antique; la bibliothèque sévillane en est alors le centre le plus brillant. Tout en accordant une priorité aux grands écrivains chrétiens du IVe au VIe siècle, en particulier Augustin, Cassiodore, Grégoire le Grand – ce dernier fut l’ami personnel de son frère aîné Léandre –, Isidore tente d’assumer cet immense héritage dans toute sa diversité. C’est pourquoi manuels scolaires et auteurs classiques s’associent, dans les sources de ses œuvres, aux Pères latins les plus anciens: Tertullien, Cyprien, Hilaire, Ambroise.

La formation intellectuelle et spirituelle des clercs, des moines, mais aussi des laïcs destinés aux responsabilités politiques, importe à cet évêque ami des monarques. C’est à leur usage qu’il multiplie les manuels d’initiation liturgique, exégétique, théologique (les trois livres des Sentences annoncent les «sommes» médiévales). N’oubliant pas que toute culture commence par le maniement précis d’une langue, il est attentif à la grammaire et aux savoirs profanes. Son œuvre culmine dans les vingt livres des Étymologies sur l’origine de certaines choses. Lointainement inspirée, dans son contenu, sa forme, et surtout son orientation à la fois érudite et «romaine», par l’œuvre de l’«antiquaire» latin Varron (le contemporain d’Octave Auguste), cette immense « encyclopédie », en un sens encore antique et déjà médiévale, embrasse, entre les sept arts et les techniques matérielles, le droit, la médecine, les savoirs sacrés et les sciences naturelles. Son auteur fut aussi historien, poète, liturgiste.

Originalité de la culture isidorienne

Sélectionner, organiser, concentrer, rendre assimilable l’héritage de la culture hellénistique et romaine: pour réaliser ce programme, Isidore applique à toutes les connaissances quatre catégories de pensée qu’il tire des traditions de la grammaire antique. Des mots aux choses, la différence et l’analogie cernent tout objet de connaissance en le distinguant et le rapprochant des autres. La glose s’exerce à le définir en lui-même. L’étymologie ambitionne enfin de saisir l’essence même des choses à travers l’origine des mots, en vertu d’une conviction doublement fortifiée par la philosophie stoïcienne et les traditions exégétiques judéo-chrétiennes. Isidore la définit comme «l’origine des vocables, quand on saisit le sens d’un mot au moyen de son interprétation». Cet esprit latin reste donc plus sensible à l’image historique impliquée dans le terme origo qu’au sens abstrait du vocable grec de l’etymologia , «par laquelle le vrai se manifeste dans sa clarté». Le mouvement profond de la culture isidorienne se définit ainsi comme un pèlerinage aux sources des choses à travers celles des mots. Renaissance, mais dans une acception affectée de pessimisme stoïcien: la vérité ne peut renaître que par un retour à la pureté des origines.

Cette culture n’est point, pour autant, une fuite vers les origines perdues, hors d’un présent irrémédiablement dégradé. L’optimisme nationaliste de l’historiographie isidorienne est là pour démentir une exégèse aussi romantique de son œuvre. La plupart de ses ouvrages sont, comme naguère pour Augustin, les commandes de destinataires précis: parents, disciples, confrères, princes. Isidore est au moins l’auteur principal de la plus ancienne collection canonique: l’Hispana vetus. Homme d’Église et, indirectement, d’État, tout autant que «scholar» voué au culte de muses chrétiennes, évêque avant d’être écrivain, et écrivain parce que pasteur conscient de ses responsabilités.

Un fondateur du Moyen Âge

Cet équilibre efficace d’une culture au contenu antique, mais aux formes déjà médiévales, explique l’extraordinaire rayonnement de l’œuvre isidorienne dans les siècles qui l’ont suivi, dans la chrétienté mozarabe et les royaumes chrétiens de la Reconquête, mais surtout à travers l’Europe entière. Le nombre exceptionnellement élevé des manuscrits qui l’ont transmise, en particulier à partir du VIIIe siècle, fait de leur étude l’une des méthodes les plus neuves pour explorer les relations culturelles dans l’Europe médiévale. Isidore est, après l’Écriture, l’auteur préféré de Bède dans l’Angleterre du VIIIe siècle, de Raban Maur dans la Germanie du IXe. Il occupe une place décisive dans la culture carolingienne. Dante «voit flamboyer son souffle ardent» auprès de Bède et de Richard de Saint-Victor. Dès le XVe siècle, il est l’un des premiers à recevoir les honneurs de l’imprimerie. Comme Cassiodore, et plus efficacement que lui, il est bien l’un de ceux «qui ont fait entrer la culture antique dans l’étroite cellule du Moyen Âge».

Isidore de Séville
(saint) (v. 560 - 636) archevêque de Séville (601), docteur de l'église, auteur d'une somme encyclopédique, les étymologies. Il organisa l'église d'Espagne.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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